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Première mondiale : Double greffe de bras, multi-équipe

le 10/02/2021

Le Docteur Justin RUYER a intégré le Centre de la main Sauvegarde – Lyon Ortho-Clinic fin 2020 et exerce au sein de la Clinique de la Sauvegarde à Lyon 9è en tant que chirurgien de la main et du membre supérieur. Le 13 janvier 2021, il participait à la double greffe de bras, qui a nécessité la mobilisation de nombreuses équipes médicales et soignantes, publiques et privées du territoire, et qui s’est déroulée à l’Hôpital Edouard Herriot (HEH).

 

Une intervention exceptionnelle

Cette greffe au niveau des épaules est une première mondiale. Cette prouesse technique a nécessité un travail colossal d’amont, orchestré sur le plan chirurgical par le Dr Aram GAZARIAN, chef de service de chirurgie du membre supérieur d’HEH.

Toutes les techniques les plus poussées en terme d’anesthésie, de chirurgie du membre supérieur et vasculaire, de médecine de transplantation et immunologie clinique ont été utilisées. C’est également le fruit d’un protocole de recherche clinique débuté en 1998 avec la première allo-greffe de main au niveau du poignet. Depuis, 7 patients ont été greffés à Lyon, avec une moyenne d’un patient tous les 2 ans.

 

Le patient

Félix a 48 ans, est d’origine islandaise, et a perdu ses membres supérieurs suite à une électrocution sur une ligne à haute tension en 1998. Il avait notamment subi une transplantation hépatique et avait donc déjà un traitement anti-rejet. 

 

Le Dr Justin Ruyer raconte plus de quinze heures de chirurgie continue

Quelle a été votre participation à cette intervention ?

« J’étais responsable de la préparation de l’épaule gauche du receveur avec les Dr Victor RUTKA (Hospices civils de Lyon, HEH) et le Dr Roger BADET (Clinique Saint-Charles). Nous devions préparer chaque tissu (articulation, nerfs, artères, veines, muscles, peau) de l’épaule à recevoir le bras du donneur.

D’où viennent les deux bras du donneur ?

« Ils sont prélevés chez un donneur en état de mort cérébrale compatible. Compte tenu de la complexité de l’intervention, une des conditions était que le donneur devait être à Lyon (ou transportable à Lyon) pour le prélèvement.

A quel moment ont été prélevés les bras du donneur ?

« La préparation du bras gauche du donneur devait être synchronisée avec le prélèvement de la greffe par une 2è équipe de chirurgiens, qui se déroulait donc simultanément dans un bloc opératoire voisin. Le but étant que le bras du donneur passe le minimum de temps en ischémie (absence de circulation sanguine). »

Comment rattachez-vous le bras du donneur au receveur ?

« Une fois le bras du donneur arrivé, nous avons commencé par fixer l’articulation entre l’humérus et l’omoplate. Les chirurgiens vasculaires pouvaient alors suturer l’artère et la veine du donneur au receveur, et ainsi revasculariser le greffon. Ensuite, nous avons terminé la réparation des nerfs, muscles et peau. »

Et pour le côté droit ?

« La même intervention se déroulait de manière symétrique du côté droit, avec donc 2 autres équipes de chirurgiens (donneur et receveur). En tout, 10 chirurgiens orthopédistes du membre supérieur et 3 chirurgiens vasculaires ont opéré. »

Comment est préparée cette chirurgie ?

« Tout est planifié à l’avance : l’installation du patient, l’anesthésie, les temps opératoires, jusqu’à l’installation sur mesure dans le lit en post opératoire.

C’est donc un travail colossal de réflexion et d’anticipation impliquant l’ensemble des acteurs (chirurgiens, anesthésistes, kinésithérapeutes et ergothérapeutes…). De plus, l’expérience s’est enrichie de chaque greffe réalisée depuis le début du protocole de recherche en 1998.

Donc tout était prévu à l’avance ?

La planification de l’acte chirurgical en lui-même commence à la rencontre du patient. L’anatomie des moignons est étudiée précisément (Radiographie, Scanner, IRM). Ainsi chaque temps opératoire est réfléchi et imaginé. Un « compte- rendu opératoire prévisionnel » sur mesure est ainsi établi. Par exemple, une impression 3D de la partie supérieure de l’humérus droit du receveur a été réalisée afin de simuler la mise place de la plaque et des vis de fixation osseuse. La taille de chaque vis avait été ainsi mesurée préalablement, temps précieux ainsi économisé le jour J. »

Avez-vous un entraînement spécifique pour cette chirurgie ?

« En tant que chirurgien orthopédiste de la main et du membre supérieur, nous en maîtrisons l’anatomie et l’ensemble des techniques chirurgicales (chirurgie de l’épaule, chirurgie du plexus brachial et des nerfs périphériques…). L’ensemble de ces compétences sont utilisées ici.

Nous avons également tous participé à plusieurs mises en situation en laboratoire d’anatomie afin de se préparer au mieux : la chirurgie est reproduite dans les moindre détails, et les gestes répétés. »

Comment avez-vous été prévenu de la greffe ?

« C’est le Dr Gazarian qui tenait l’équipe chirurgicale au courant. Une alerte lui est donnée lorsqu’un donneur potentiel est identifié, et il nous relayait l’information sur notre messagerie de groupe incluant tous les acteurs. La compatibilité du donneur avec le receveur est ensuite vérifiée, notamment les données anthropomorphiques (tailles compatibles) et l’absence de lésions sur les membres.

Dans ce cas précis, l’alerte a été donnée le lundi, la confirmation de la faisabilité de la greffe a été confirmée le mardi en fin de matinée, et la chirurgie planifiée pour le mercredi. »

Comment s’est déroulée la journée ?

« Le rendez-vous à été donné à l’hôpital Edouard Herriot à 6h du matin en salle de réunion pour un temps de briefing et un rappel des rôles de chacun. L’installation du patient a débuté dès 7h, et le début de la chirurgie à 10h.

Du côté gauche, nous avons passé le relais aux chirurgiens vasculaires vers 14h, ce qui nous a permis de prendre un temps de pause, avant de reprendre une fois les sutures des vaisseaux réalisées. La chirurgie a pris fin vers 23h30.

Le fait d’être plusieurs chirurgiens de chaque côté autorise à prendre des petits temps de pause pour se dégourdir et ainsi rester concentré pendant toute l’intervention. »

A quel niveau a été faite la greffe ?

« A droite, la greffe était au niveau du quart proximal du bras. A gauche, elle était au niveau de l’articulation entre humérus et omoplate. »

Les deux bras sont opérés en même temps ?

« Oui, Il y a environ 15 heures de chirurgie de chaque côté. On peut dire qu’il y a eu en tout 30 heures de chirurgie mises bout à bout.

Seule la revascularisation de chacun des bras devait se faire d’un côté puis de l’autre, car c'est un moment critique, particulièrement à risque pour le patient.

Il y a t’il un risque de rejet ?

« Il existe un risque théorique de rejet aigu mais qui en pratique ne survient pas avec les traitements anti-rejet et la sélection de la compatibilité du patient. Initialement, les greffons peuvent être perdus plutôt suite à une infection précoce ou à un défaut de vascularisation (artère ou veine qui se bouche).

Le plus préoccupant est le rejet chronique qui détériore les petits vaisseaux à long terme et a pour conséquence qu’une greffe n’est pas éternelle. Par exemple, dans le cas des greffes de reins, la moitié des greffons ne fonctionne plus à 13 ans de la transplantation. C’est la même chose dans le cas des greffes de main. On ne peut pas promettre au patient qu’il les gardera toute sa vie.

Actuellement le premier greffé bilatéral des mains à Lyon en 2000, n’a toujours pas présenté de rejet chronique.».

Quelle serait la conséquence pour le patient ?

« Les patients sont prévenus du risque de perdre les greffes, avec nécessité d’une chirurgie pour les retirer. Le moignon peut être alors plus court.

Dans le cas de Félix, la chirurgie a été prévue pour qu’en cas de rejet, les moignons ne soient pas raccourcis. »

Combien de temps faut t’il pour que le patient puisse bouger et ressentir les bras ?

« Tout est conditionné par la vitesse de repousse des nerfs. Il est communément admis qu’un nerf repousse de 1 mm par jour. Dans ce cas précis, on peut estimer que la ré-innervation des muscles sera effective à 1 an, et la sensibilité du bras quelques mois avant »

Quelle mobilité aura-t-il sur les nouveaux membres ?

« Les mouvements de l’épaule et la flexion du coude sont les objectifs. A ce niveau de greffe, on ne peut malheureusement pas espérer qu’une mobilité des mains soit retrouvée.»

Pourquoi bilatérale ?

Actuellement à Lyon, la greffe ne se fait que bilatéralement. Plusieurs raisons : la perte d’autonomie est moindre chez les patients avec une seule main. Tous les gestes quotidiens peuvent être réalisés. Mais c’est une question débattue.

Aux Etats-Unis ou en Italie par exemple, la greffe est unilatérale. Un des arguments est que dans des situations de complications, la décision d’amputation est plus facile, faisant courir moins de risque au patient et une perte d’autonomie moindre.

 

Un appel au don

La greffe de bras et de mains est marginale, rare, et relève d’un enjeu fonctionnel et non vital. Mais c’est l’occasion de rappeler l’importance du don d’organe, qui sauve des vies. En 2019, 5 900 personnes ont bénéficié d’un don d’organe. Nous encourageons chaque personne à se renseigner, et en parler à ses proches. Le site www.dondorganes.fr fournit les réponses à toutes les questions que vous pouvez vous poser.

 

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